"Je me souviens", dit le peuple du Qu�bec, qu'il y a quatre cents ans j'abordais une c�te inconnue, aux rochers si peupl�s de mouettes qu'on les croyait couverts d'une v�g�tation de plumage. J'ai vu venir � moi des hommes au teint de cuivre rouge. Ils m'ont parl� une langue �pre et saccad�e, soudain plus douce � cause du sourire des yeux. Et j'ai plant� la croix au seuil de l'inconnu. J'avais derri�re moi l'inqui�tude de la mer; en face, l'incertitude, l'immensit� de mon destin.
Je me suis engag� dans le "chemin de Canada." De chaque c�t� du fleuve, l'or que je venais conqu�rir croissait dans les arbres ! C'�tait octobre. Ce fut l'hiver, qui enserra tout le "royaume du Saguenay", dans un �tau de cristal. Je m'�pouvantai, je me rappelai ma lointaine Normandie, - � moins que e ne f�t la Bretagne ou la Touraine ou l'Anjou... Mais voil� que c'�tait le retour du printemps et de l'esp�rance, dont j'avais d�sesp�r�. Ce singulier pays redevint l'Eldorado. J'y plongeai plus avant. Je n'y trouvai point d'or ni d'�pices, mais d'autres richesses: des fourrures, et des �mes.
Je me souviens du temps o� j'ai lev� la hache contre la for�t, pour tirer d'elle des maisons fran�aises. Mais les arbres ripost�rent par une vol�e de fl�ches. Je me relevai sanglant; je repris la hache et, d�sormais, le mousquet. Et la for�t recula. L'hiver et le printemps et la neige et la chaleur altern�rent sans, troubler mon dessein �merveill�. Et Qu�bec naquit. Car ce n'est plus dans la seule for�t que je m'�tais engag�; c'�tait dans une oeuvre ! Et naquit Ville-Marie. J'�tais tout ensemble colon, paysan, ouvrier, marchand et navigateur, trappeur et missionnaire. Et puis, un matin, comme j'�pongeais mon front et distrayais mes yeux de la t�che quotidienne, tout � coup, autour de moi, j'ai aper�u la Nouvelle-France.
