Histoire d’une table de billard
(ou la biographie de Jacques Choquette)

Andrée Choquette, de Saint-Jean-sur-Richelieu, la fidèle secrétaire de l'Association des Choquet-te d'Amérique Inc. depuis plusieurs années, nous a fait parvenir le texte ci-dessous. (Voir l'album photo d'Andrée et celui de Lorraine.

Histoire d’une table de billard

 Le petit Jacques, originaire de Cowansville (Granby), décida un jour de se fabriquer sa propre table de billard dans son sous-sol de maison. Machiniste-outilleur de profession, à la Pratt & Whitney, et fort de ses modestes débuts d’arracheur de clous chez Désourdy Construction dès son jeune âge, « Jacquo », comme on le surnomme amicalement, en parle à ses deux beaux-frères (Choquette aussi) intéressés au jeu du billard. Bricoleur à ses heures, ayant bâti sa maison lui-même, son sous-sol contenait la plupart de tous les appareils nécessaires à la fabrication de toutes sortes de choses.

            Et voilà notre Jacques, le débrouillard, à élaborer un plan de table de billard et nos trois larrons à faire une première, deuxième, troisième table de billard, le soir à temps perdu, dans le sous-sol de la maison de Jacques… et Denise qui s’arrache les cheveux de la tête en se disant : « Mon ménage! » car poussière et bran de scie il y a partout en bas et en haut. Partout, partout, que de la poussière. Pauvre Denise! Car elle n’a pas que ça à faire, du ménage. Elle est infirmière, travaille 3-4 jours par semaine à l’hôpital d’à côté, et doit aussi veiller au bien-être de ses quatre filles et son mari, la « super woman » quoi, avec le  «super dad », Jacques.

Voilà que Jacques s’annonce avec sa « gang » du Club Optimiste pour jouer au billard. Sa table de pool est simple, recouverte de formica (mélamine), robuste, de bonne qualité et surtout d’aplomb (fond droit). Les joueurs sont emballés que déjà la table est convoitée. Le chef de police présent en voudrait bien une, de même que monsieur le maire, etc., etc. Pas de problèmes. Notre Jacques vend donc sa table au chef de police puis commence à fabriquer les tables demandées par tous. L’histoire ne dit pas si sa première vente lui a évité bien des contraventions!

Jacques voit donc là la possibilité de faire le commerce de tables de billard, étant donné les demandes de plus en plus nombreuses pour le produit. Il s’associe à ses deux beaux-frères Pierre et Normand. J.P.N. Billard Inc. voit le jour en 1970.

Le sous-sol se faisant de plus en plus petit pour la fabrication des tables, Jacques décide de céder le terrain vacant qu’il possède pour ériger le premier des trois bâtiments du commerce de billard… au grand dam de Denise qui perd là la chance de faire bâtir la maison de ses rêves dans les années futures. Pauvre Denise! Deux ans à endurer la poussière et le bran de scie et à faire la téléphoniste et messagère.

Nos trois compères, Jacques, Pierre et Normand recherchent encore plus de qualité pour leurs tables de billard. Ils importent du tapis d’Angleterre, réputée pour sa laine, la pierre d’Italie, réputée pour la qualité de son ardoise, vont jusqu’à tester le K-3, un nouveau produit de particules de bran de scie moins dispendieux que l’ardoise, pour faire le fond de la table, à l’épreuve de l’eau…. ou presque. Les modèles de table, créés de toutes pièces par Jacques, notre débrouillard, varieront au fil des années, de même que la couleur du tapis.

Les accessoires le seront tout autant, à commencer par les boules de billard incassables provenant de Belgique, qu’on s’amusait à faire rebondir sur le ciment du plancher, au grand étonnement des clients, de bonnes baguettes ou queues canadiennes en érable directement du manufacturier à Toronto… et de moins bonnes « Made in China » que l’on avait beau tordre et détordre, elles finissaient toujours par être croches.

N’oublions pas la main-d’œuvre sous-payée : l’épouse de Normand, puis belle-sœur, puis les deux filles de Jacques qui crochetaient (ah, ah!) les poches de corde de nylon fixées dans les six ouvertures du dessus de la table de billard et servant à recevoir les boules « jouées ».

Pierre quitte le commerce, désireux de reprendre sa mise de fonds pour se marier et voler de ses propres ailes.

Le commerce est si florissant, 35 employés ici à St-Luc, que bientôt un deuxième bâtiment s’ajoute au premier en 1971, puis un troisième en 1972.

Jacques achète même son propre moulin à scie à Granby, a une quinzaine d’employés, y ajoute un séchoir à bois pour mieux être desservi en bois pour la fabrication des tables de billard. L’érable et le chêne seront les essences de bois les plus aptes à être utilisées, le formica cédant un peu sa place dans la finition d’une table. Apparaîtra aussi la cuirette noire, capitonnée de clous blancs sur le cadre et les pattes de la table.

Des jeux de Bumperpool, Mississippi, feront également leur apparition. Jacques fabrique aussi des « racks » ou supports à baguettes de formats variés, avec ou sans tableau ou marqueurs-pointeurs, des horloges avec des petites boules de billard en plastique, de même que des lampes pour mieux éclairer la surface de jeu de la table de billard. 

1981. La récession gronde à nos portes, les gens achètent moins de tables de billard, activité considérée comme un loisir de luxe. Le commerce survit grâce à la débrouillardise de Jacques qui veillait aux grains. Il accentue la gamme de ses produits jusqu’à fabriquer du plancher, des marches, des rampes de maison, puisque le domaine de la construction subsiste, ainsi que des pièces diverses de bois sur mesure pour des particuliers.

Normand en a marre du billard et des longues heures passées au commerce pour si peu de paie. Jacques lui rachète donc sa part, malgré ces temps de « vache maigre ».

Jacques, quant à lui, à 37 ans, venait de quitter son emploi bien rémunéré à la Pratt & Whitney, de même que de cesser le transport de 10-12 collègues de travail qu’il voyageait matin et soir, pour ne s’occuper que du billard et du moulin à scie. Trop, c’est trop!

La récession ayant porté un dur coup à beaucoup de commerces, Jacques dut se résigner à fermer le sien à Granby pour concentrer ses énergies sur son commerce de billard plus rentable.

Les tables automatiques « payantes » des tavernes ne se vendaient plus autant, de même que les petits modèles de maison. Jacques peinait et « faisait des pieds et des mains » pour sauver son commerce, écrasé par la hausse des taux d’intérêts exorbitants et l’étau des banques.

Le commerce a survécu… Près de 35 ans plus tard, Jacques fabrique de plus beaux et luxueux modèles qu’à ses débuts. Mais à 68 ans et des poussières, il vient de parler de vendre l’entreprise suite à une opération pour un cancer du côlon. Il se porte cependant assez bien. L’âge de la retraite a sonné… surtout du repos bien mérité.

Je lui dédie cette « histoire d’une table de billard ».

                                                                                                                                Andrée, sa fille

 


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